La fonction de chercheur universitaire se présente aujourd’hui sous un jour de plus en plus préoccupant, sinon problématique. Plusieurs enquêtes menées au cours de ces dernières années font état d’une situation qui finit par nuire non seulement à la pédagogie du professeur-chercheur, mais également à la qualité de la recherche (Rey, 2014 ; Martin, 2016). Effectivement, la problématique que nous abordons ici se déploie dans un contexte qui nous est devenu familier : celui de l’université « marchande » ou « entrepreneuriale » (Etzkowitz, 2001). Faut-il rappeler que cette dénomination prend de plus en plus la forme d’un système de régulation avec lequel il faut bien compter. Plusieurs auteurs dont (Felouzis, 2003 ; Pelletier, 2006 ; Rey, 2014 et Martin, 2016) parlent même d’une université en constante mutation, d’une université à la recherche d’un nouveau souffle. S’agissant de la recherche universitaire libre ou personnelle, elle a presque entièrement laissé la place à la recherche subventionnée. Cette dernière devient à toutes fins utiles la seule qui soit reconnue par les autorités universitaires qui veulent s’assurer d’une bonne place au palmarès des institutions de pointe. Force est de reconnaître qu’au cours des dernières années, la politique de recherche s’est peu à peu transformée afin d’être en phase avec les impératifs du marché et demandes de l’État.
C’est ainsi que l’université a pris une tangente managériale : les « indicateurs de performance » sont devenus la mesure de toute activité de recherche ou d’enseignement. Selon le nouveau « mode » de production des connaissances (Gibbons et al., 1994), la contribution de cette institution à la société se mesure non plus à l’aune du développement de la pensée et de la culture, mais à celle de l’apport à la performance économique nationale (Gibbons, 1998 ; Martin et Ouellet, 2010). Les résultats d’un tel type de gouvernance posent de plus en plus de problèmes : confusion des rôles, résultats aléatoires, parce qu’obtenus à partir de démarches effectuées en accéléré, fatigue et déception de plusieurs enseignants-chercheurs qui n’arrivent plus à concilier leurs multiples fonctions (enseignement, recherche, service à la collectivité, etc.) et le développement d’un soi personnel et professionnel. Les conditions dont nous venons d’esquisser un portrait menacent la liberté académique des professeurs-chercheurs ; leur embauche et leur permanence sont de plus en plus mesurées, on le sait, à partir de critères de performance reliés de façon étroite à l’émergence d’une compétitivité internationalisée (Martin, 2016). En clair, l’enseignant universitaire qui ne saurait se cantonner à la production tous azimuts de résultats de recherche dits « probants », doit nécessairement disposer de temps et d’énergie pour approfondir les sujets reliés à son expertise, les étoffer d’une pensée susceptible d’assurer aux étudiants qu’il encadre une formation de qualité. Dans le contexte actuel, nombre de professeurs doivent se délester de leur tâche d’enseignants pour se consacrer presque exclusivement à la recherche et d’autres sont écartelés entre deux intérêts et soumis à une charge de travail sans commune mesure, alors qu’il conviendrait de chercher un équilibre entre ces deux tâches pour le bénéfice des étudiants. Saisie du double point de vue de la recherche et de l’enseignement supérieur, la pratique universitaire, vécue comme une dualité, a été dénoncée à maintes reprises auprès de responsables politiques et scientifiques.
Curieusement, en dépit de ces nombreuses alarmes, les responsables concernés par cette problématique tardent ou rechignent à s’engager dans une révision en profondeur de leur mode de fonctionnement. Tout se passe comme s’il fallait s’en tenir à un modus operandi axé sur la simple performance dont les résultats sont loin de correspondre aux attentes. On ne saurait donc faire l’économie d’une analyse en profondeur des contextes dans lesquels la recherche et l’enseignement supérieur se déploient et des politiques dont ils sont tributaires.
Partant de ce constat, L’AFIRSE section-canadienne propose aux chercheurs et aux praticiens, pour son 4e colloque international, de se pencher sur la façon dont se planifie, se réalise et s’évalue leur pratique universitaire. Cette occasion leur permettra de faire le point sur les recherches qu’ils poursuivent compte tenu des contextes, courants, processus et retombées vis-à-vis des besoins du terrain. Les participants auront en outre l’occasion de proposer des démarches innovantes permettant de resituer la réflexion dans une nouvelle perspective susceptible de mieux répondre à l’axe d’intérêt des chercheurs et des besoins des milieux de pratique et de la société. Cette rencontre regroupera des chercheurs de divers pays ; elle constituera l’opportunité de jeter un nouveau regard sur chacun des éléments constitutifs du processus de recherche, débouchant ainsi sur une meilleure prise en compte de la situation qui prévaut dans les établissements d’enseignement supérieur et les milieux de pratique.
Une telle visée requiert également de prendre en considération les critiques dont la recherche en sciences de l’éducation et dans les sciences contributives fait actuellement l’objet. Comme le souligne Rey (2014), il faut bien admettre que ces critiques sont nombreuses et finalement assez ressemblantes d’un pays à l’autre. In fine, le présent colloque a pour objectif de clarifier la situation qui prévaut actuellement dans les activités de recherche dans le domaine de l’éducation comme celles des sciences qui lui sont reliées – philosophie, anthropologie, sociologie, psychologie, etc. – et de proposer des solutions visant à assurer un meilleur équilibre entre la recherche et l’enseignement. Une telle posture ne saurait se dispenser d’une attention particulière aux divers niveaux de pouvoirs dont relèvent les politiques et les pratiques concernant le développement de la recherche : ministères, organismes subventionnaires, universités et enseignants-chercheurs.
Quatre axes sont proposés aux participants :
Axe 1 : Politiques concernant la recherche
- Orientations, courants idéologiques, types de recherche
Axe 2 : Lien entre recherche et enseignement
- Tensions entre les fonctions d’enseignant et de chercheur
Axe 3 : Processus de recherche
- Planification, opérationnalisation et évaluation
- Impacts des modes de fonctionnement sur le vécu du chercheur
Axe 4 : Impacts de la recherche sur les pratiques
- Diffusion, appropriation et utilisation des résultats de la recherche